jeudi 3 novembre 2011

Sécurité alimentaire et… sécurité alimentaire.

J’ai réussi à trouver un moment ce soir pour lire la page 6 « Planète » de Le Monde (ce soir, alors que les Parisiens et même les Bordelais ont déjà entre les mains Le Monde de jeudi 3 novembre) consacrée à Bill Gates « L’agriculture pour réduire la pauvreté » (B. Gates est invité spécial du G 20 à Cannes).
Sous l’article principal se trouve un petit article intitulé « Au G 20, des avancées en matière de sécurité alimentaire », ce que voyant, et avant même de le lire, je me suis dit –forcément à part moi- « allez, voilà la sécurité alimentaire à toutes les sauces ! » Je sais que j’ai déjà abordé ce sujet il y a quatre ou cinq ans… une question de sémantique… pas seulement.

Lorsqu’à la sortie de la guerre nous étions encore « rationnés » (j’ai le souvenir, en 1945, de certaines files d’attente dans lesquelles ma mère, petit siège pliant et tricot, attendait sagement son tour), les besoins alimentaires de la population étaient considérables par rapport à l’offre issue de notre agriculture. Une partie de celle-ci était sinistrée suite aux combats de la Libération, et la France et son agriculture étaient exsangues, ayant payé un tribut exorbitant à l’occupant[#].

Les pouvoirs publics et les politiques engagées ciblaient la sécurité des approvisionnements, la sécurité alimentaire pour la population. Lorsque, retour d’Algérie j’eus un poste de Conseiller Agricole, les consignes étaient « développement agricole », accroissement des rendements de la production agricole alimentaire, mécanisation et rationalisation de la production : la sécurité alimentaire devenait une question de « suffisance alimentaire » et même, dépassant l’autosuffisance, faire de notre agriculture, et de l’industrie agro-alimentaire, un outil économique d’exportation et de pesée sur le commerce international.

De la quantité, au fur et à mesure que les besoins étaient satisfaits et que ce secteur était un garant du solde largement positif de la balance française du commerce, et que nous devenions des « consommateurs », avec des exigences, les Pouvoirs publics passèrent à la qualité. Au Ministère de l’Agriculture fut créée au milieu des années 70 une Direction de la Qualité. Des laboratoires vétérinaires, mais aussi des laboratoires contrôlant la qualité sanitaire et organoleptique des produits végétaux maillèrent le territoire. A l’époque, le Service de la Répression des Fraudes et du Contrôle de la Qualité appartenait à cette direction (il partira à Bercy sous la forme DGCCRF sous le gouvernement Mauroy ou sous le gouvernement Fabius).

Et l’on reparla de sécurité alimentaire, pour en fait couvrir les aspects sécurité sanitaire de l’alimentation. La direction de la Qualité devint dans le milieu des années 80 la Direction Générale de l’Alimentation. Source, à mon avis (cela n’engage que moi…), d’un malentendu. En effet, ou bien nous sommes en temps de guerre et ce ministère a une Direction des Approvisionnements Alimentaires… Ou nous sommes en temps de vaches grasses, et ce ministère doit garantir la QUALITÉ alimentaire et se garde sa Direction de la Qualité.

Je rappelle que le Ministère de l’Agriculture est celui de la production agricole (et piscicole et des pêches maritimes)… et des producteurs (très intégré d’ailleurs puisqu’il a un budget annexe pour les prestations sociales, qu’il entretient un enseignement agricole, qu’il a la tutelle des organismes médico-sociaux…).
Il n’est pas le ministère des populations non agricoles, il n’est pas le ministère de la santé publique (il n’est même plus celui de la « protection de la nature »), or en ayant une  Direction de l’Alimentation, direction « forte » puisque dite « Générale » (DGAL), il doit tout à la fois « défendre » ses producteurs, mais aussi « les contraindre » puisqu’il est censé« protéger » les consommateurs.
Si les mesures restrictives ou coercitives viennent de lui, peut-il vraiment contraindre une population dont il gère les intérêts ? Alors qu'il doit appliquer le code de l'environnement comme le code de la santé publique dont la responsabilité première des textes appartient à d'autres ministères (il peut en être cosignataire).

Alors comme il fallait séparer l’évaluation des risques alimentaires, risques sanitaires liés à l’alimentation, et la fonction régalienne de la gestion des risques et de l’orientation de la production, on a créé une agence d’État chargée du premier volet : l’AFSSA (agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation) tandis que, via sa DGAL, l’État (le ministre) gère, arrête, décide… Ainsi, pour mieux comprendre : l’évaluation des pesticides (y compris biologiques) dans toutes leurs composantes toxicologiques, écotoxicologiques et biologiques en vue d’une future AMM (autorisation de mise sur le marché) demandée est du ressort de l’AFSSA devenue ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ; en revanche la décision d’autorisation (il s’agit d’une procédure européenne) comme la décision de retrait relève du Ministre.

Sécurité est donc ce mot charnière qu’on retrouve régulièrement… sécurité alimentaire, sécurité de l’alimentation… sécurité des aliments.

L’article du Monde auquel je faisais allusion, parlant de sécurité alimentaire, s’agissant en fait de l’alimentation des populations du monde, des réserves stratégiques de céréales, de l’amélioration génétique des céréales et protéagineux de première nécessité alimentaire, de la transparence des prix et de l’information, etc… reprend bien l’aspect premier de sécurité des approvisionnements, de sécurité alimentaire mondiale.

[#] De mon allaitement pendant l’exode, comme de certaines privations (et pourtant… Dieu sait que nos parents, eux, se privaient pour que, nous, leurs enfants, échappions au pire sur ce plan), il en est d'ailleurs résulté certaines carences qui ont eu leurs répercussions sur ma santé jusque vers la fin de mon adolescence.