Mon activité dans le scoutisme à l’époque où j’étais en
École d’Agriculture me permettait d’occuper une mansarde dans une vieille
bâtisse cauchoise, en briques sombres comme il se doit, presque picardes, concédée
à la paroisse et affectée à un vicaire, aumônier des scouts de France et au
rez-de-chaussée de laquelle j’entretenais un local de réunions pour les
"Routiers" et pour la maîtrise "Éclaireurs" (les
guillemets encadrent deux des trois âges du mouvement –masculin- des Scouts de
France après guerre, les plus jeunes étant les "Louveteaux".
Prenant de moi-même une certaine autonomie ( ?), qui
fut dès ma deuxième année d’école d’agriculture renforcée, et en quelque sorte
concrétisée, par le vélo, un "cyclo" que mon père me légua (c’était
"son" vélo, un vélo des années d’après guerre (peut-être même antérieur à icelle), dérailleur trois
pignons, mes rapports avec mes parents commencèrent à se modifier.
Nous étions installés à Caen (ville martyre, cf les notes
de mon ancien blog, en pleine reconstruction) depuis 1955. Ma
mère ne travaillait plus (erreur… après dix années de commerce intensif, là
encore ce fut décrit dans mon ancien blog, dimanches matins compris durant
plusieurs années, au cœur de Montmartre, sous le Moulin de la Galette, rue
Tholozé) et se cherchait presque désespérément des activités.
Une fierté, mais j’étais un jeune con incapable d’analyser
cela, une fierté de ma mère était celle de faire des courses, du lèche-vitrine,
ou encore de se rendre aux concerts des JMF (jeunesses musicales de France), au
bras de son fils en congés. Elle avait une silhouette altière (qui trompait
formidablement sur sa taille réelle) et appréciait que je sois vêtu très
correctement. J’avais un duffle-coat gris que je ne mettais que lorsque j’étais
en vacances à Caen ; annotation apparemment sans importance sauf… que sur la
seule photo souvenir que j'aie de ma mère et moi dans une rue de Caen, je porte ce duffle-coat…
Rien que de très ordinaire à ce que je conte là, j’en
conviens. Mais… un ordinaire déjà lointain, dont l’héroïne nous a quittés mon
père et moi il y a presque dix-huit ans, une forme de leucémie, et qui pour moi
est frappé du sceau d’un certain bonheur, celui encore de l’enfance.
Qu’à l’époque
je n’appréciais pas à sa juste valeur… Adolescence ingrate !...
Quel rapport avec les effluves, une fragrance, une odeur ? Le garçon bien élevé (mais si !) que j’étais n’était pas particulièrement précoce en matière de toisons viriles. Quelques poils sur le menton, au bas des joues, quelques velléités, tout juste, au-dessus de la lèvre supérieure… mais à 17 ou 18 ans j’inaugurais un premier rasoir. N’étant pas particulièrement argenté (rappelez-vous ce que je racontais dans mon ancien blog des traites –à la main- des vaches les samedi et dimanche en remplacement de camarades d’école d’agriculture pour me faire un peu d’argent de poche, d’autres expédients… comme ce pari d’avaler un ver de terre, bref je "gagnais ma vie" !!!...), avec ce rasoir mécanique à l’ancienne, lames de rasoir à changer sous peine de vilaines petites estafilades, j’avais acheté une eau d’après-rasage. Bleue.
C’était Ice Blue, d’Aqua Velva. Ce n’était pas une eau de
toilette bien recherchée, mais je sentais frais et "le propre". Ma
mère appréciait… d’autant que mon père n’était absolument pas adepte d’un
quelconque geste de coquetterie de ce genre. Crème à raser, savon : sa
jeunesse, son passé de khâgneux, ses trois ans d’engagement militaire… l’avaient
à jamais installé dans le propre mais sobre.
Depuis, car tout cela remonte à plus de cinquante ans, j’ai
essayé différents "after-shave", j’ai aimé des eaux de toilette et
j’en aime au moins trois, une très florale et légère pour l’été et deux plus
complexes et distinguées lorsque… "je vais dans le monde" (pufff,
pufff).
Mais, j’ai aussi en armoire de toilette de l’Aqua Velva
de Williams. Ce n’est plus tout à fait ce qu’était l’Ice Blue d’Aqua Velva :
ni le flacon original, ni la couleur qui sembalit plus pastel, ni la "finesse".
Néanmoins, la dominante est reconnaissable et…
Et voilà, nous y sommes. Ce matin, après ma douche, j’ai
tapoté mes joues, mon cou avec cette eau bleue. Et… comme à chaque fois, j’ai
ressenti cette espèce de rappel d’un passé sinon intemporel, du moins
indéfinissable, imprécis, accompagné d’une vague sensation de chaleur… et de
nostalgie. Avec ma mère.
Cela revêt pour moi une certaine importance car autant
mon père a été présent dans mon ancien blog (qu’il a connu un an en 2006-2007 et dont je lui imprimais
des pages qu’il commentait, critiquait, lorsque j’allais passer quelques jours
auprès de lui) avant et après sa mort, autant ai-je peu parlé de ma mère.
Question de pudeur ? Je ne sais… Peut-être d’incompréhension de ma part
autour de ses dernières années de vie… et de souffrances qu’elle taisait ;
elle qui était si exigeante avec moi et encore plus avec elle-même.