mercredi 22 août 2012

À la recherche d’effluves lointains…

Pensionnaire durant tant d’années, élevé et éduqué avec une certaine rigueur, l’adolescent que j’ai été vers la fin des années 50 a essayé de trouver ses créneaux de… "liberté", du moins d’un semblant d’indépendance.


Mon activité dans le scoutisme à l’époque où j’étais en École d’Agriculture me permettait d’occuper une mansarde dans une vieille bâtisse cauchoise, en briques sombres comme il se doit, presque picardes, concédée à la paroisse et affectée à un vicaire, aumônier des scouts de France et au rez-de-chaussée de laquelle j’entretenais un local de réunions pour les "Routiers" et pour la maîtrise "Éclaireurs" (les guillemets encadrent deux des trois âges du mouvement –masculin- des Scouts de France après guerre, les plus jeunes étant les "Louveteaux".



Prenant de moi-même une certaine autonomie ( ?), qui fut dès ma deuxième année d’école d’agriculture renforcée, et en quelque sorte concrétisée, par le vélo, un "cyclo" que mon père me légua (c’était "son" vélo, un vélo des années d’après guerre (peut-être même antérieur à icelle), dérailleur trois pignons, mes rapports avec mes parents commencèrent à se modifier.


Nous étions installés à Caen (ville martyre, cf les notes de mon ancien blog, en pleine reconstruction) depuis 1955. Ma mère ne travaillait plus (erreur… après dix années de commerce intensif, là encore ce fut décrit dans mon ancien blog, dimanches matins compris durant plusieurs années, au cœur de Montmartre, sous le Moulin de la Galette, rue Tholozé) et se cherchait presque désespérément des activités.


Une fierté, mais j’étais un jeune con incapable d’analyser cela, une fierté de ma mère était celle de faire des courses, du lèche-vitrine, ou encore de se rendre aux concerts des JMF (jeunesses musicales de France), au bras de son fils en congés. Elle avait une silhouette altière (qui trompait formidablement sur sa taille réelle) et appréciait que je sois vêtu très correctement. J’avais un duffle-coat gris que je ne mettais que lorsque j’étais en vacances à Caen ; annotation apparemment sans importance sauf… que sur la seule photo souvenir que j'aie de ma mère et moi dans une rue de Caen, je porte ce duffle-coat…


Rien que de très ordinaire à ce que je conte là, j’en conviens. Mais… un ordinaire déjà lointain, dont l’héroïne nous a quittés mon père et moi il y a presque dix-huit ans, une forme de leucémie, et qui pour moi est frappé du sceau d’un certain bonheur, celui encore de l’enfance.

Qu’à l’époque je n’appréciais pas à sa juste valeur… Adolescence ingrate !...
  

Quel rapport avec les effluves, une fragrance, une odeur ? Le garçon bien élevé (mais si !) que j’étais  n’était pas particulièrement précoce en matière de toisons viriles. Quelques poils sur le menton, au bas des joues, quelques velléités, tout juste, au-dessus de la lèvre supérieure… mais à 17 ou 18 ans j’inaugurais un premier rasoir. N’étant pas particulièrement argenté (rappelez-vous ce que je racontais dans mon ancien blog des traites –à la main- des vaches les samedi et dimanche en remplacement de camarades d’école d’agriculture pour me faire un peu d’argent de poche, d’autres expédients… comme ce pari d’avaler un ver de terre, bref je "gagnais ma vie" !!!...), avec ce rasoir mécanique à l’ancienne, lames de rasoir à changer sous peine de vilaines petites estafilades, j’avais acheté une eau d’après-rasage. Bleue.


C’était Ice Blue, d’Aqua Velva. Ce n’était pas une eau de toilette bien recherchée, mais je sentais frais et "le propre". Ma mère appréciait… d’autant que mon père n’était absolument pas adepte d’un quelconque geste de coquetterie de ce genre. Crème à raser, savon : sa jeunesse, son passé de khâgneux, ses trois ans d’engagement militaire… l’avaient à jamais installé dans le propre mais sobre.


Depuis, car tout cela remonte à plus de cinquante ans, j’ai essayé différents "after-shave", j’ai aimé des eaux de toilette et j’en aime au moins trois, une très florale et légère pour l’été et deux plus complexes et distinguées lorsque… "je vais dans le monde" (pufff, pufff).


Mais, j’ai aussi en armoire de toilette de l’Aqua Velva de Williams. Ce n’est plus tout à fait ce qu’était l’Ice Blue d’Aqua Velva : ni le flacon original, ni la couleur qui sembalit plus pastel, ni la "finesse". Néanmoins, la dominante est reconnaissable et…


Et voilà, nous y sommes. Ce matin, après ma douche, j’ai tapoté mes joues, mon cou avec cette eau bleue. Et… comme à chaque fois, j’ai ressenti cette espèce de rappel d’un passé sinon intemporel, du moins indéfinissable, imprécis, accompagné d’une vague sensation de chaleur… et de nostalgie. Avec ma mère.


Cela revêt pour moi une certaine importance car autant mon père a été présent dans mon ancien blog (qu’il a connu un an en 2006-2007 et dont je lui imprimais des pages qu’il commentait, critiquait, lorsque j’allais passer quelques jours auprès de lui) avant et après sa mort, autant ai-je peu parlé de ma mère. Question de pudeur ? Je ne sais… Peut-être d’incompréhension de ma part autour de ses dernières années de vie… et de souffrances qu’elle taisait ; elle qui était si exigeante avec moi et encore plus avec elle-même.