jeudi 30 août 2012

Sabine. Il y a soixante-trois ans…

Hier, le calendrier grégorien mouture XXIème siècle nous indiquait que c’était la Sainte Sabine.
 
Pour beaucoup, Sabine évoque "l’enlèvement des… ". Pour moi, c’est plutôt un souvenir d’enfance, quelque chose de plus intime mais en même temps de très commun. Les toutes premières amours d’un garçonnet, à peine les premiers émois, mais déjà les premières petites souffrances de la jalousie…
 
Oui, évoquant avec un cousin il y a une dizaine d’années la fille du colonel commandant le Régiment de Chasseurs d’Afrique stationné dans la fin des années 40 à Langenargen et Ravensburg (Bade Wurtemberg, rive nord du Bodensee, Lac de Constance), fréquentant comme moi l’école primaire française de Ravensburg (instituteur militaire), mon cousin me rappela que Sabine était sa petite amie… Gonflé ! Il avait quinze ans, j’en avais neuf et donc Sabine, élève comme moi de CM2 et préparant l’entrée en sixième, n’avait guère plus, peut-être un an ou un an et demi…
 
Mais Jean-Claude était le chef ! Du moins dans la fratrie à laquelle j’étais intégré par la volonté d’un Conseil de Famille. Ses deux aînés préparaient Saint-Cyr-Coëtquidan ; lors des grandes vacances… ils étaient les chefs. L’aîné, Henri, par principe, futur officier de l’arme blindée, instructeur de cavalerie ; le second Guy, plus discret, futur officier supérieur. Et moi, un gamin, peu déluré, fluet, tremblant devant l’autorité de ma tante, cavalière (montant en amazone) et quittant rarement sa cravache… en tout cas dès que j’étais dans les parages domestiques. Henri et Guy sont tous deux décédés depuis longtemps.
 
Bref, moi j’aimais Sabine ; enfin disons qu’elle m’attirait, que j’étais fier d’être parfois auprès d’elle, que je la "badais"... Je me gelais les pieds sur la neige durcie du trottoir devant chez elle pour l’attendre et aller faire de la luge avec elle et le fils du capitaine S…, un peu plus jeune que nous. Je la contemplais en cachette, tantôt avec ses deux nattes, tantôt avec ses longs cheveux plutôt blonds masquant ses épaules et descendant vers sa taille.
 
J'étais aux anges quand l'instituteur me félicitait devant la classe (devant "E"lle). Et j'ai été fort meurtri le jour où je suis arrivé à l'école avec les traces de la cravache derrière les cuisses et un écriteau dans le dos "Caque a menti à sa tante"...
 
Ma dispense d’âge et ma réussite à l’examen d’entrée en sixième : je les lui ai offerts. En tout cas je me l’imagine !...
 
 
Effectivement, je me souviens vaguement des interférences de Jean-Claude et que ce salopard aimait à me punir… Oui, il restait derrière lui Jacques et Anne-Marie (le premier avait douze ans ; ma cousine en avait neuf). Michel avait dix-huit mois et faisait l’objet des soins de l’aînée des filles, dite Caroline (épouse, depuis, d’un futur général, brigadier ou divisionnaire), dix-sept ou dix-huit ans, seconde dans l’autorité ménagère, et d’Anne-Marie bien évidemment. Jean-Claude nous faisait faire du maniement d’armes avec des manches à balai. A moins de dix ans, je savais marcher au pas, faire demi-tour droite, porter et présenter armes, mettre l’arme à l’épaule… Et Jean-Claude exerçait ce magistère à merveille, caporalisant au maximum en ce qui me concernait.
 
Sabine… à cause de sa jalousie ; Sabine finalement cause de ces quelques vexations qu’il m’infligea. J’avais un peu effacé cette partie de mon histoire d’écolier à Ravensburg, Sabine y était : elle et moi. Pas d’autre ! Et puis mon cousin a remis les souvenirs en place… effectivement il. Sacré vieux ! (il approche de ses quatre-vingts ans maintenant).
 
C’était il y a soixante-trois ans. Sabine.
 
C’était il y a soixante-trois ans, la Forêt-Noire, le Lac de Constance. Sur ce dernier (revu depuis en touriste, en 1965 ou 66, Lindau, feu d’artifice, bateau, avant d’aborder Lichtenstein et Vorarlberg) je fis la plus belle croisière de mon enfance, sur bateau à roues à aubes. Pour aller de Langenargen à Constance (et retour) passer justement, et avec succès, l’examen d’entrée en sixième pour dispense d’âge. Ma première journée, dans ma vie, sans parents, sans oncle et tante, sans adulte pour me tenir en laisse. La première fois que j’eus à me débrouiller seul…
 
Quelques mois plus tard, je retrouvais la pension religieuse, en France, non plus les Jésuites mais les Frères des Écoles chrétiennes (St J-B. de La Salle). Et pour cinq ans une ambiance totalement masculine. Plus de « vie de famille » nombreuse, plus de cravache non plus, d’autres angoisses ;  plus de Sabine, ni de nattes, ni de jupes, ni de pinçons au cœur… En tout cas plus avant longtemps.
 
 
Ce sera... sous le mont-Blanc, quatre ans plus tard.




Addendum de fin de journée : mon cousin pouvait se croire permis de... J'avoue que, dans ma mémoire, objectivement, Sabine avait plutôt douze ans que dix. Depuis que j'ai écrit ce texte, en vaquant (affaire de vaquatitude, comme dirait un blogueur) à des tâches d'entretien extérieur, je me suis remémoré ces faits, et je LA revois bien. Déjà presque "jeune fille". Et moi, petit couillon, premier de classe mais pesant zéro.

L'affaire de l'écriteau et des coups de cravache est toute bête au départ. Nous avions un "cahier du jour" et un "cahier du soir". Ce dernier était visé et paraphé chaque soir par ma tante après que j'eus fait mes devoirs. Ma tante ne s'est jamais inquiétée "mais y a-t-il un cahier du jour ?". Ce dernier était parfait, ou presque. Sauf un jour, un seul, où pour je ne sais plus quelle raison "le maître" y a mis une annotation en rouge et m'a demandé de le rapporter le soir chez ma tante et de le lui faire viser. Ma tante a ainsi découvert que j'avais un cahier... dont je ne lui avais jamais parlé : horrible dissimulation.

Sanctionnée. Peut-être d'ailleurs n'était-ce pas la cravache ce soir-là mais ma ceinture : quand il le fallait, j'enlevais cette ceinture, la confiais à ma tante, me courbait offrant postérieur et cuisses à la punition.